18 mai 2012

Jules Ferry, symbole acceptable ?


La politique politicienne ne m’intéresse pas le moins du monde, et étant donné qu’elle a monopolisé l’actualité ces dernières semaines, cela explique peut-être mon absence prolongée. Néanmoins, au milieu de cette période de transition pour notre chère République où le Président nouvellement élu choisit les symboles qui vont guider son mandat, j’ai été marqué par la polémique lancée sur le choix de Jules Ferry – polémique lancée par son homonyme !

Si je comprends bien, Jules Ferry est un symbole contestable en raison de son racisme, immortalisé par son discours célèbre devant l’Assemblée Nationale, et de son rôle actif dans l’entreprise de colonisation de la deuxième moitié du XIXè siècle. Ce à quoi F. Hollande et ses suiveurs ont tous rétorqué qu’il s’agissait naturellement de rendre hommage au Jules Ferry de l’Education nationale, et non au Jules Ferry colonialiste.

Me concernant, je suis effaré par la manière dont le manichéisme – historique – structure le raisonnement et le comportement aussi bien des acteurs que des détracteurs dans cette affaire. Certes les symboles sont importants et il convient de s’interroger ce qu’ils peuvent véhiculer. Mais le risque est immense de tomber dans l’excès inverse et de contester tout symbole qui ne serait pas tout blanc, voire plus blanc que blanc. C’est le piège dans lequel est tombé M. Luc Ferry en initiant cette polémique, soi-disant philosophe, mais aussi F. Hollande en faisant croire qu’on peut sélectionner ce qui nous arrange dans l’Histoire et en refuser ce qui nous dérange.

Car dans l’Histoire, rien n’est tout noir ou tout blanc, tout est GRIS. Je ne pense pas qu’on puisse distinguer le Jules Ferry de l’école de celui de la colonisation. Je pense personnellement – et cela n’engage que moi – que l’on peut voir en filigrane dans ces deux démarches la conviction d’un irrésistible idéal républicain qui tend à l’universalité. C’est certainement un élan d’une même nature qui a mené à ces deux entreprises, l’une que le temps a finalement bénie, l’autre qu’il a rejetée. Mais il n’y a pas de sens à regarder cet élan par le prisme de notre époque où l’on cherche à aseptiser l’histoire comme l’on verse de la solution hydro-alcoolique sur nos mains. Certains ont dit : prenons plutôt Clemenceau pour symbole ! Mais Clemenceau n’était-il pas connu pour son côté briseur de grèves ? Jaurès alors… Mais qui ose dire que le pacifiste Jaurès n’en était pas moins patriote et s‘apprêtait à voter l’Union Sacrée s’il n’avait été tué quelques jours plus tôt ? Déjà, en 2005, D. de Villepin, Premier Ministre, et J. Chirac, Président de la République, n’avaient pas participé aux commémorations des bicentenaires du sacre de Napoléon et d’Austerlitz, cédant au lobby antiraciste qui y voyait là l’apologie des actes d’un homme ayant rétabli l’esclavage. Aucun symbole ne peut passer le filtre de la machine à laver du politiquement correct. La Révolution ?
La terreur et la guerre de Vendée. Le drapeau tricolore ? La Marseillaise ? Les guerres.

Cette volonté d’aseptiser les symboles risque d’engendrer – ou a déjà engendré – une crise nihiliste dans notre pays, où finalement chacun définit ses propres symboles. C’est le premier pas vers le communautarisme et un symptôme du délitement du sentiment national. Une guerre civile est, entre autres, une guerre des symboles. Sans entrer dans une analyse psychanalytique de la nation, je suis persuadé que les pages noires d’une Histoire nationale contribuent autant à forger le sentiment national que les pages les plus glorieuses, notamment parce qu’elles nous permettent aujourd’hui de réaliser à quel point et dans quelle mesure nous souhaitons construire une société meilleure. L’Histoire ne doit pas être un objet de jugement, mais le socle sur lequel une nation, voire le monde, construit son avenir. Les symboles sont le lieu d’une identification, et non le simple souvenir d’une réalité concrète. Ils génèrent un sentiment d’appartenance collective, et se nourrissent par la suite de cet imaginaire collectif. La dimension symbolique du symbole n’est pas statique, elle évolue, s’enrichit, voire se dilue parfois. Prenez par exemple le coq gaulois: il n’est pas devenu symbole parce qu’il représentait la France, mais parce que les Français se sont identifiés à lui au moment où le sentiment national français se construisait. Bref, on ne naît pas symbole, on le devient.

A l’heure où toute action est susceptible d’être filmée, ou toute conversation enregistrée, le moindre mot de travers, même dans un cadre informel, est susceptible de finir sur Youtube ou dans un tribunal. N’importe qui peut être soumis à la vindicte médiatique pour quelques mots malheureux ou politiquement incorrects. Les appareils photos numériques ont multiplié et gravé dans la roche des situations cocasses et délirantes de chacun d’entre nous. Ce phénomène va sans aucun doute contribuer à tuer dans l’œuf les « grands hommes », donc les symboles de demain, car tous traîneront leur « boulet » médiatique issu d’une déclaration ou d’une vidéo malheureuse qu’il est impossible de laisser dans les oubliettes de leur histoire personnelle.

Cela me rappelle le roman de P. Roth intitulé La Tâche, qui raconte la vie d’un éminent professeur d’université licencié de son poste pour avoir qualifié des élèves absents, en voulant faire un bon mot, de spooks (zombies, fantômes), négligeant le sens dérivé à caractère raciste du mot qui peut signifier « négro » ou « bougnoule ». Or ces deux élèves étant noirs, le scandale éclate et aboutit à la révocation du professeur. Ce roman est remarquable en ce qu’il décrit parfaitement – au moment de l’affaire Clinton / Lewinsky – le processus de « purification » qui a traversé l’Amérique à cette période et par lequel tous, guidés par les élites puritaines, ont essayé en vain d’effacer sur eux cette tâche indélébile qui est en réalité la marque de notre simple humanité.

Les symboles ont leur part d’ombre, mais ils sont choisis non pas pour leur perfection, mais en ce qu’ils sont les mieux à-même de guider une nation et ses citoyens à travers l’Histoire. Et dans le cas des Grands Hommes, la sublimation de leur « Grandeur » doit nous rappeler que le point de départ de toute destinée est la condition humaine et sa tâche indélébile.

Vive Jules Ferry, et vive la France.

10 mai 2012

Le baptême du feu


N. Sarkozy est certainement le président le plus malchanceux de la Vè République avec V. Giscard d’Estaing. Le mandat de ce dernier avait expérimenté la fin des Trente Glorieuses et deux chocs pétroliers, ainsi que leurs conséquences en termes de chômage de masse. Celui de N. Sarkozy a subi le début de la crise des subprimes dès l’été 2007, la chute de Lehman Brothers et la crise financière, la crise économique, et la crise de la dette souveraine en zone euro – inachevée. Difficile de faire pire, et encore plus difficile d’être réélu dans ces conditions. Et pourtant, je me demande si François Hollande n’est pas en passe de le détrôner, et de loin, du titre du Président le plus infortuné de la Vè République.

Car l’élection présidentielle française n’était qu’un épiphénomène le week-end dernier en comparaison de ce qui se passait en Grèce au même moment, à savoir les élections législatives. Et les résultats de celles-ci font la part belle aux partis mélenchonistes et le-penistes locaux, sans qui il sera – sauf erreur de ma part – impossible de gouverner. Or ces partis, hostiles à l’austérité et à l’UE en général, comptent rejeter les mesures de rigueur budgétaires, se privant ainsi d’aides financières de l’UE, le tout devant aboutir inéluctablement à la faillite de la Grèce, et donc à son éviction de la zone euro. C’est le scénario catastrophe, et il est tout à fait plausible. Il l’est d’autant plus que le plan de sauvetage de la Grèce, âprement négocié par les différentes parties, avait déjà une forte probabilité de tomber à l’eau malgré le concours du gouvernement technocratique – donc conciliant. Un départ de la Grèce de la zone euro serait catastrophique pour l’ensemble des pays en raison de l’effet de contagion. La plupart d’entre eux, à l’exception de l’Allemagne, sont déjà dans le collimateur des agences de notation, et le cas de Grèce serait le précédent qui convaincrait bon nombre d’investisseurs de fuir définitivement la zone euro.

C’est donc une crise de taille qui attend François Hollande, une crise même inédite dans l’histoire de l’Europe. Par ailleurs, cette crise devra être abordée rapidement étant donné que la Grèce a plusieurs émissions de dette prévues en mai et juin. Or le contexte est tout à fait nouveau pour le couple franco-allemand, « moteur » de l’Europe. Le désaccord entre F. Hollande et A. Merkel sur le pacte budgétaire est notoire, et ils ne sont pas du même bord politique. Les deux chefs d’Etat n’auront pas le temps d’apprendre à travailler ensemble et de régler leurs différends avant de devoir trouver des solutions à la sempiternelle crise grecque. L’entente entre N. Sarkozy et A. Merkel avait été un facteur de succès important dans la gestion des crises précédentes, le nouveau Président français devra donc faire preuve d’efficacité s’il ne veut pas devenir le Président de la chute de l’Euro.

Inutile de dire que cela sera très compliqué, notamment parce qu’il a été élu sur des bases vraiment démocratiques, et non pour mettre en œuvre un programme économique dicté par l’Europe. En roi du grand écart, il a réussi à convaincre qu’il réduirait les déficits publics sans règle d’or ni politique d’austérité, et avec une politique sociale expansive, une relance keynésienne, et un accroissement des effectifs de fonctionnaires. Il apparaît donc que Hollande devra vite choisir entre la préservation de l’unité européenne, notamment par son positionnement vis-à-vis de l’Allemagne, et le respect de ses engagements vis-à-vis de ses électeurs, bref entre l’austérité ou l’éclatement de l’Europe. Car la France est dans cette situation particulière qu’elle n’est pas suffisamment forte pour obtenir de l’Allemagne des concessions telles que les Eurobonds, la renégociation du pacte budgétaire ou la taxe sur les transactions financières, mais son importance économique est suffisante pour faire définitivement sombrer l’Euro en cas de crise de la dette française. Le risque est fort que le grand écart de F. Hollande se transforme en écartèlement de type Ravaillac s’il n’établit pas des priorités dans son agenda économique. La question est donc au fond de savoir qui de l’Europe ou des classes populaires à qui il promet de la « justice sociale » sera sacrifié sur l’autel de sa politique économique.

Il sera intéressant d’analyser la teneur des premiers sommets européens et des premières rencontres franco-allemandes afin d’y voir plus clair dans les priorités économiques de François Hollande, à moins qu’il fasse preuve d’une force de conviction telle qu’il arrive à emmener ses compères européens sur le chemin de sa vision de la politique économique européenne. Mais il ne faut pas oublier que pour être crédible, il faut avoir un pouvoir d’influence, et être résolu à l’utiliser si nécessaire. Or, du fait de la position relative de la France par rapport à l’Allemagne et du faible track record politique de Hollande, nous pouvons légitimement nous inquiéter de ces deux aspects, et donc de la capacité de la France à faire bouger les lignes en Europe. Ce sera le baptême du feu de Hollande, et il arrive prématurément.

Bref, de la Corrèze à l’Elysée, il n’y a qu’un pas, mais  nous ne pouvons qu’espérer pour une fois que Mao ait raison quand il dit que « l’expérience est un peigne pour les chauves ».

Et vous, qu’en pensez-vous, quelle sera la politique économique de François Hollande ? 

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Toute ressemblance avec l'article d'un grand quotidien français serait purement fortuite