21 février 2013

Chérie, j’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer…



Annoncer à sa conjointe (ou son conjoint) que l’on a eu un mauvais bonus, telle est la terrible situation à laquelle, d’après efinancialcareers, nombreux banquiers et professionnels du monde de la Finance doivent cette année faire face. En effet, il s’agit là de la Une de la dernière newsletter de ce site réservé aux professionnels de la Finance : « How to tell your wife / husband that you got a bad bonus ? »(le lien ici pour prouver que je ne mens pas)

Moi-même, rien que d’y penser, j’en ai les bras ballants. Car à la déception d’entendre le montant de la voix de son Managing Director s’ajoute la culpabilité de devoir l’annoncer à sa femme. Parce que s’il y a une personne sur terre qui attend encore plus le jour de l’annonce des bonus que le banquier, c’est bien la femme du banquier. C’est pourquoi efinancialcareers est là pour nous donner les bons conseils pour que les couples puissent traverser cette terrible épreuve, en attendant que peut-être l’année prochaine, qui sait, le retour des beaux jours.

Etant donné que la condition nécessaire à un jugement honnête est de savoir se mettre à la place d’autrui, voici un petit tour d’horizon de ce qu’ont certainement dû vivre ces banquiers malheureux, frustrés de constater que leurs efforts n’ont pas été rémunérés à leur juste valeur.

Le banquier méritant

*Bruit de porte qui s’ouvre*
- Bonsoir mon chéri
- (en larmes) Je ne comprends pas… Vraiment pas…
- Mais que se passe-t-il ?
- Pourtant le desk a bien tourné cette année, avec tout le business qu’on a eu. Bon ok y’a toujours l’Etat au capital de la banque mais bon… Ca doit être ça quand même, c’est le gouvernement qui fout la pression pour pas se mettre encore plus à dos ces fonctionnaires qui branlent rien ! Mais j’ai envie de leur dire que moi JE BOSSE HEIN ! MOI JE LE MERITE MON SALAIRE !
- Mais de quoi tu parles ?
- Moi je fais 70h par semaine ! En plus que déjà mes actions de la boîte ont perdu 70% de leur valeur depuis l’été 2007, ils pourraient bien faire un effort. De toutes façons ils comprennent rien !
- Qui ça ?
- Ces gros cons ! Ils comprennent rien à comment on motive une équipe ! Nous on est tous prêts à s’arracher et eux ils font tout pour nous démotiver !
- C’est ton bonus… ?
- Oui, encore plus bas que l’année dernière !
- On fait quoi pour le chalet alors… ?
- OH COMMENCE PAS TOI !

(je vous laisse imaginer la suite)

Vous avez pu voir dans cet exemple comment un mauvais bonus peut ronger de manière insidieuse la dynamique d’un couple qui ne demande pas grand-chose, si ce n’est de pouvoir regarder ensemble dans la même direction… Mais comment faire sans une rémunération décente ? Ne reste-t-il guère que Goldman Sachs qui sache encore payer ses banquiers ?

Le banquier de chez Goldman Sachs

*Bruit de porte qui s’ouvre*
- Bonsoir mon Chéri. Ben dis donc tu en fais une tête – la même que le jour où tu m’as dit que t’étais long sur la Grêce. Hihi. Dis j’ai une question à te poser. C’est bizarre, aujourd’hui j’ai reçu une alerte sur mon ipad mini disant qu’il y avait eu un virement de 300,000£ sur notre compte en banque. C’est le remboursement de ta nuit d’hôtel de la semaine dernière ? Ou c’est juste un ajustement lié à la variation du taux de change sur ton fixe ? Ah oui et du coup ça me fait penser, c’est quand l’annonce des bonus déjà ? Parce que bon, faudra bien qu’ils comprennent cette année que si t’avais voulu bosser aux Restos du Cœur, tu te ferais pas autant chier !
- Ah ce sujet, Chérie, tu vas rire… »

(je vous laisse imaginer la suite)

Encore un couple qui entre dans une spirale destructrice à cause de ce fléau qu’est la crise. Ce qui est certain, c’est que la crise de 2008, comme la Guerre de 14, a consolidé la place des femmes dans la société…

Le banquier soumis 

*Bruit de porte qui s’ouvre*
     - Chéri, c’est toi ? Alors ce bonus, combien ?
     - Ben euh…
     - COMBIEN ?
     - Ben euh…
     - COMBIEN PUTAIN ?
     - Ben euh

(je vous laisse imaginer la suite)

Terrible… Face à une situation dont il ne maîtrise pas les ressorts, le banquier doit donc être lucide…

Le banquier lucide

*Bruit de porte qui s’ouvre*
- Ca va mon Chéri ?
- Ca va… Le bonus est pas top, mais je m’y attendais. De toutes façons le secteur ne sera plus jamais comme avant. C’est fini la Belle Epoque des années 2006-2007, il faut qu’on se fasse une raison maintenant.
- T’as bien raison, et en plus, si je peux te voir plus souvent, moi ça me va !
- Nan mais tu déconnes ? Attends, demain j’entre dans le bureau de ce con de MD, je lui crache ma dem dans la gueule et lui fous dans le cul tous les post mortems de ces putains de deals que je lui ai ramenés et dont j’ai même pas vu la couleur des fees !
- Ah…

(Je vous laisse imaginer la suite).

Dès lors qu’être lucide devient inutile, ceux qui s’en tirent sont les plus malins…

Le banquier rusé
« Qu’il était chiant ce trajet sans l’ipad que j’ai oublié au pied du lit ce matin… Mais bon du coup j’ai pu mettre en place ma combine pour que xxx (NDLR : l’anonymat reste préservé) ne découvre pas mon vrai bonus. Si le midi je continue à aller au Subway, et que je me fais expenser mes voyages de Johannesbourg en faisant croire que je vais à Paris, elle y verra que du feu ! Ca paraîtra au moins au niveau de l’année dernière comme ça. C’est pas top top, mais ça sauvera les meubles.
*Arrive devant la porte de chez lui. Toc Toc Toc. Rien. Toc Toc Toc*
- Chérie ?
- CHERIE ?
*Ouvre lui-même la porte. Trouve une lettre sur la table, l’ouvre*
« Cher yyy (NDLR : l’anonymat),
Tu as oublié ton ipad ce matin, et en voulant le nettoyer je suis tombé sur notre compte en banque. Je ne reviendrai pas à la maison bla bla bla »

(je vous laisse imaginer la suite)

Bullshit ! Chez efinancial, ils n’ont pas compris que le seul moyen de faire accepter à sa femme un bonus pourri, c’est d’être dans une relation où seul l’amour compte !


Le banquier marié d’amour

*Bruit de porte qui s’ouvre*
- Bonsoir mon Chéri. Ben dis donc tu en fais une tête. Qu’est ce qui se passe ?
- C’est mon bonus… bien en dessous de mes attentes. Je pensais pourtant enfin pouvoir t’offrir les cadeaux dont tu rêvais tant…
- C’est pas grave mon Chéri, y a des choses plus importantes dans la vie que l’argent. Tu sais je ne t’ai pas épousé pour ça.
- Je le sais et j’ai vraiment de la chance que tu sois là pour moi. D’ailleurs quand j’ai vu ton message aujourd’hui  c’est exactement ce que je me suis dit. Que j’étais quelqu’un de chanceux de t’avoir, et que parfois peut-être que je n’étais pas à la hauteur, que je consacrais beaucoup trop de temps et d’énergie à mon boulot, et que par conséquent je n’étais pas aussi présent auprès de toi que ce que je devrais.
- Quel message ?

(je vous laisse imaginer la suite)

Si même pour les banquiers aimés de leur femme ça marche pas, alors je n’ose vous raconter comment ça se passe dans les couples en désuétude, genre quand y en a un qui fait un burn out…

Le banquier en burn-out
*Bruit de porte qui s’ouvre*
- C’est toi mon Ch…
BANG.
*Retourne l’arme contre lui*
BANG

(cette fois y’a pas de suite)

Mais il peut y avoir pire que l’annonce d’un bonus, à savoir lorsque l’on fait d’autres découvertes malheureuses, qui plus est la même journée.

Le banquier cocu

*Bruit de porte qui s’ouvre*
- C’est toi mon Chéri ? Pourquoi tu pleures ?
- C’est mon bonus… (sanglotant)
- Rho mais allez, viens, c’est pas grave mon chéri, 50,000 c’est pas si mal…
- Comment tu sais que c’est 50,000 ?

(je vous laisse imaginer la suite)

Heureusement qu’il y en a qui ont un peu d’humour…

Le banquier fan du Juste Prix

*Bruit de porte qui s’ouvre*
- C’est toi mon Chéri ?
*Voix de Philippe Risoli*
- Chérie, t’as une minute pour deviner mon bonus
- 80,000 ?
- C’est moins
- 60,000 ?
- C’est moins
- 50,000 ?
- Moins
- 30,000 ?
Etc.

(je vous laisse imaginer la suite)

Après tout, peut-être que la solution est de faire preuve de générosité…

Le banquier catholique

*Bruit de porte qui s’ouvre*
- C’est toi mon Chéri ?
- Chérie, cette année, j’ai décidé de reverser l’intégralité de mon bonus au Secours Catholique.
- Je suis fière de toi mon chéri, mais comment on va faire pour nourrir les enfants ?

(je vous laisse imaginer la suite… un indice, devinez qui a du venir en aide à la famille)

Bref, la générosité n’est certainement pas un truc de banquier. Je lâche l’affaire, y a donc aucun secret pour accommoder bobonne dans cette situation…

Le banquier marié à une femme vénale

*Bruit de porte qui s’ouvre*
- C’est toi mon Chéri ? Alors, Tiffany’s ?
- Non, Svarowski

(Je vous laisse imaginer la suite)


Après ces quelques instants de vie dramatiques qui ont marqué un tournant dans la vie de nombreux couples par delà le Square Mile, il est donc temps de tirer quelques leçons. La principale que je tire, c’est que le FSA (l’autorité de régulation britannique) pourrait quand même songer à mettre en place une cellule d’aide psychologique pour l’année prochaine.

Et plus sérieusement, on pourrait tout de même arrêter de se foutre de notre gueule avec ces bonus. Si je veux bien admettre l’idée que d’aucun a le droit de travailler dans le but qui lui est sied, y compris gagner beaucoup d’argent, s’il trouve là son bonheur, je pense que la caste des banquiers et autres professionnels de la Finance devraient tout de même se souvenir qu’il est des frustrations que la vertu commande de garder dans le silence.

17 février 2013

Oh! On verra plus tard



Le système politique dans lequel nous vivons a cela d’exceptionnel qu’au-delà des quelques années que dure un mandat, nul dirigeant n’est responsable des décisions prises au cours de celui-ci. Il est même fichtrement pervers, en ce que les décisions prises, en matière d’économie notamment, voient souvent leurs effets se matérialiser des années plus tard. Autrement dit, c’est maintenant qu’il faudrait commencer à juger l’action de Sarkozy. Essayez d’imaginer comme ce serait drôle de voir le temps médiatique en décalage de cinq ans avec celui de la prise de décision ? Attendre cinq ans, voire dix, avant de juger l’intervention au Mali, le Mariage pour tous, les décisions économiques, sociales etc., puis décider si l’on met au pilori (pas seulement médiatique) ou non celui qui a pris les décisions à ce moment-là. Les décisions prises seraient-elles différentes ? Ben tiens.

Assez rêvassé, revenons à nos moutons. L’intégrité de notre système, bien qu’étant « le pire à l’exception de tous les autres » (sic), repose sur un maillon tellement faible que je m’en trouve, naïvement et modestement, presque confus d’être un des seuls à le formuler ainsi depuis longtemps : l’intégrité de ses dirigeants. N’est-il pas très dangereux de confier les rênes d’un pays à un individu qui n’est attaché à son devoir que par sa bonne foi pour une durée limitée ? Si j’avais le culot d’un Desproges, je daignerais même affirmer que cette pensée suscite en moi une once d’admiration pour les nombreux dictateurs qui ont au moins assumé l’exercice du pouvoir et ses conséquences jusqu’à leur mort naturelle ou provoquée. Si on y réfléchit, confier l’exercice du pouvoir à un élu multi-récidiviste de métier depuis trente ans, dont le seul risque après 5 ans à la Présidence de la République est de ne plus pouvoir prendre le métro ou d’aller à la boulangerie de la mère Michu en bas de la rue, cela équivaut un peu à confier le volant de sa Ferrari à un immortel : au fond, hormis pour sa conscience, il doit pas en avoir grand-chose à foutre si il crashe ceux qui sont sur la banquette arrière.

L’inverse est vrai aussi, car si l’on maintient notre hypothèse selon laquelle toute décision d’ordre politique majeure ne génère des effets observables et analysables que plusieurs années plus tard, il en est de même de tout le crédit lié à une bonne mesure, dont profitera sans aucun doute celui qui jadis était un opposant. Bref, pour notre dirigeant, le jugement de l’histoire à dix ans, il n’en a pas grand-chose à carrer, étant donné que dans dix ans l’histoire l’aura oublié sur l’autel des exploits filmés de la nouvelle Kim Kardashian. C’est triste, injuste, mais c’est comme ça. D’ailleurs, vous, votre institutrice bienveillante qui vous disait « Tu me remercieras plus tard », vous l’avez remerciée depuis ? Non, ben vous voyez, vous ne valez pas mieux, mais ce n’est pas de votre faute, c’est juste le système qui veut ça. Pourtant vous la remercieriez bien.

Car vous avez parfaitement compris où je veux en venir. Loin de nous l’idée que notre système est passé, en l’espace de deux paragraphes, au « pire à l’exception de nul autre » (sic – elle est de moi celle-là). Mais il est légitime de se poser des questions sur ce qui détermine réellement les décisions politiques des dirigeants. Or, la nature temporaire du mandat électoral dans un système démocratique conjuguée à l’immédiateté des attentes générées par un système médiatique  intégré, aux multiples plateformes, génère naturellement un biais en faveur des décisions aux conséquences directement et rapidement observables, et ce au détriment des conséquences lentes, à long terme, qui affectent profondément la société, sans que tout un chacun s’en rende compte. C’est même plus pervers que cela, car le système politico-médiatique fait en sorte que ces dernières n’existent même pas, en les oubliant dans un optimisme péremptoire de type « mais noooon » ou « oh on verra bien », en supposant qu’un problème ne doit être traité qu’au moment où il se pose, et non où il devient visible.

Vous pouvez appliquer cela à tous les sujets, économiques, sociétaux, internationaux, environnementaux. La lutte contre le réchauffement climatique en est un exemple parfait : « oh on trouvera bien quelque chose ». L’augmentation des impôts ? On voit les 0 qui entrent dans les caisses (ou pas…), mais on voit moins le niveau des investissements qui baisse à l’horizon 5 ou 10 ans. Pour les sujets sociaux, je vous laisse juger.

Finalement, la décision politique répond aux mêmes lois que le marketing : si cela ne se sait pas, cela n’existe pas. Et c’est ainsi que nous construisons la société de demain : en prenant des décisions dont l’impact au-delà de 5 ans n’est même pas envisagé. Jusqu’à présent, avec de l’énergie pas chère et des ressources illimitées pour générer de la croissance, ça passait. Mais à partir de maintenant, pas besoin d’experts pour constater que cela va être plus compliqué. A l’heure où le véritable défi pour l’humanité est celui de la durabilité de son système économique, faire reposer les réponses sur un système qui a consacré le règne du court-terme, c’est pour le moins très ambitieux, pour ne pas dire que c’est de la connerie. Votre maîtresse d’école, si elle vous avait encouragé à jouer à Call of Duty au lieu de faire vos devoirs, auriez-vous simplement envie de la remercier ? Permettez-moi d’en douter.