14 avril 2012

« Les sondages m’ont tuer », signé : l’élection


La question des sondages fait partie de ces thèmes si singuliers qui ont cette capacité incroyable à revenir sur le devant de la scène à chaque échéance électorale, et à quitter cette même scène médiatique sans avoir engendré la moindre réforme ou le moindre changement au sein du système. Les sondages, c’est un peu comme les criminels qui se retrouvent inexplicablement libres : on sait qu’ils sont nuisibles, qu’ils devraient certainement être encadrés, mais ça n’est pas le cas. Pourtant, la question mérite réellement d’être posée : les sondages faussent-ils les élections ?

Dans un monde où l’on qualifie de démocratie n’importe quel système où il y a une élection libre, l’élection est l’instrument démocratique le plus précieux, le mieux à même de transformer la volonté du peuple sous forme de pouvoir. Une multitude d’associations et d’organisations nationales et transnationales, traquent toutes les formes d’irrégularités lors d’élections diverses et variées, mais aucune ne fait preuve du même activisme forcené pour faire de la question des sondages un vrai débat de société.

Le constat initial est simple : les sondages ne sont pas que des indicateurs de l’état de la campagne. Au contraire, ils sont, comme diraient les Anglo-saxons, un « input », c'est-à-dire un des multiples paramètres pris en compte par les preneurs de décisions divers pour faire leur choix, l’ « output ». Le terme de « baromètre », souvent employé par les médias pour parler des sondages, est une énorme imposture, dans la mesure où le baromètre n’influe pas sur le temps qu’il fait. Les sondages sont des simulations d’élection élaborées à partir de méthodes plus ou moins obscures et censées donner le résultat de l’élection au cas où celle-ci aurait lieu à l’instant t.

Cela déroule le tapis rouge à une campagne qui n’est pas proactive, où les candidats vont vendre leurs idées aux citoyens, mais réactive, où ces mêmes candidats calibrent leurs choix stratégiques à l’instant t+1 en fonction des résultats du sondage paru en t. Il en est de même pour les votants, qui intègrent un calcul supplémentaire dans leur processus de décision de vote consistant à pondérer leurs choix potentiels par des probabilités issues directement des sondages. Il y a fort à parier que la conséquence de ces deux effets sur le résultat de l’élection ne soit pas négligeable. Ce mécanisme renvoie à celui de la théorie des jeux, où la prise de décision des agents n’est pas le résultat d’un processus indépendant, mais d’un raisonnement systémique, prenant en considération les comportements possibles des autres acteurs du système. Je ne suis pas un spécialiste du sujet, mais vous aurez compris où je veux en venir. Les sondages consacrent la transformation de l’élection démocratique en un vaste calcul, où l’élection n’est plus le moyen par lequel un candidat est choisi par les citoyens, mais une forme de jeu où le vainqueur est celui qui a simplement gagné le plus de voix. L’essence de la politique est de faire des choix, il y a donc un effacement du politique quand les sondages substituent le calcul à ces choix.

L’avènement de Ségolène Royal en 2007 en tant que candidate du Parti Socialiste à l’élection présidentielle suscite de nombreuses questions, étant donné qu’elle n’incarnait à ce moment aucune tendance ou mouvance au sein de son parti, n’occupait pas de fonction particulière qui lui aurait permis d’émerger en tant que représentante plus compétente ou capable qu’un ancien Premier Ministre (L. Fabius) ou qu’un éminent économiste ancien Ministre de l’Economie et des Finances (D. Strauss-Kahn). Le seul paramètre qui la démarquait de ses concurrents était qu’elle apparaissait dans les sondages comme celle ayant le plus de chances de battre N. Sarkozy au second tour d’une élection qui était encore lointaine. Qui aurait été le candidat socialiste à l’élection présidentielle de 2007 dans un monde sans sondages ? Que se serait-il passé par la suite ?

Autre exemple, la vacuité intersidérale de la campagne actuelle où le débat sur la vision des candidats pour la France est totalement absent. La vision, le projet à long terme, tout ça n’a rien de concret. Le concret, c’est chez qui on va chercher les voix. Chez Mélenchon ? Allez hop, un petit coup de « mon ennemi c’est le monde de la finance » ? Chez Le Pen ? Un peu d’immigration… La campagne est rythmée par les sondages, les hausses, les baisses, les tendances, les renversements de tendance etc., ce qui étouffe le débat politique, la confrontation des projets étant donné que tout est analysé à l’aune de l’effet recherché dans les sondages. Ceux-ci imposent une grille de lecture électoraliste de la politique et poussent les candidats à adopter la même (im)posture. Et en plus, ils se plantent tout le temps...

Je ne sais pas à quelle conclusion est arrivée l’armée de sociologues du CNRS ou de l’EHESS payés par le contribuable pour réfléchir à ce genre de questions, mais ce qui inquiète le citoyen lambda que je suis n’est pas tant l’existence même des sondages que la place qui leur a été donnée par les médias. Les sondages ont été érigés en « système » par des médias qui y voyaient là le moyen de pouvoir faire rentrer la politique dans le moule de leur spectacle. Grâce au « système sondage », on peut découper les thèmes, isoler les idées et les sujets, catégoriser les votants, adapter l’analyse politique au format du véhicule d’information, et non l’inverse. C’est le privilège de détenir le soi-disant pouvoir de dire « les Français pensent que… ».

Les directeurs d’instituts de sondages sont devenus les commentateurs attitrés de la vie politique. Le XXè Siècle était le siècle des Intellectuels, ceux qui se levaient et montaient à la Tribune pour parler non pas au nom du Peuple, mais pour le Peuple. Les instituts de sondages se sont aujourd’hui substitués aux Intellectuels en tant que représentants et communicants des aspirations profondes des Français. Ce sont eux qui détiennent la clé de compréhension de l’opinion publique et deviennent par là les intermédiaires obligés entre les Français et des politiciens qui cherchent à les séduire. La place grandissante des sondages est un symptôme supplémentaire de la crise politique en gestation, qui n’attend plus qu’une occasion pour éclater. L'élection se meurt, piégée dans l’étau de la technocratie et du marketing électoral, mais a eu le temps de laisser ce mot : « les sondages m’ont tuer »…

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