23 juin 2012

Le dividende, cet ennemi


Parmi les mesures fiscales en train d’être concoctées par le nouveau gouvernement, il y aurait apparemment la création d’une taxe de 3% sur les dividendes versés par les entreprises. Cette taxe serait prélevée au niveau de l’entreprise, et non celui de l’actionnaire, et l’objectif d’une telle mesure serait d’inciter les entreprises à réinvestir les bénéfices générés au lieu de les distribuer en dividendes. En apparence, cela semble tenir d’une logique implacable. Mais en réalité, c’est presque aussi stupide que l’ancienne proposition de N. Sarkozy en son temps de vouloir imposer la règle des « trois tiers » dans les entreprises (un pour les investissements, un pour la participation des salariés, un pour les actionnaires).

Le premier constat d’une telle mesure, c’est qu’il s’agit de taxer une troisième fois ce qui est déjà taxé à deux niveaux : les bénéfices au niveau des sociétés, les dividendes au niveau de l’actionnaire. Dorénavant, à cela s’ajoutera cette taxe de 3% sur le montant versé. Une telle mesure est d’autant plus sournoise qu’elle donne l’impression de n’impacter que l’entreprise alors que le coût réel sera in fine partagé entre l’entreprise et ses actionnaires.

Le deuxième constat est que cela dénote une méconnaissance profondes des forces sous-jacentes de l’investissement, et donc de la croissance. Pour une entreprises, les trois leviers du financement de l’investissement sont l’autofinancement (=les bénéfices réinvestis), la dette, et l’augmentation du capital. Or une mesure telle que la taxation des dividendes encourage effectivement l’autofinancement, mais elle décourage la base d’investisseurs potentiels qu’une politique de dividendes intelligente est censée fidéliser. En effet, une politique de dividendes sert à maintenir l’attractivité d’une entreprise vis-à-vis des investisseurs et permet ainsi, le jour où de nouveaux investissements considérables sont à entreprendre et nécessitent une augmentation de capital (=émission de nouvelles actions), de disposer d’une base d’investisseurs enclins à investir. 

Le troisième constat est que cela traduit une inculture totale en matière de finance, étant donné que ce ne sont pas les dividendes qui dissuadent les entreprises d’investir ! Une entreprise investit dans un projet lorsqu’elle est convaincue que ce projet est créateur de valeur. Un tel projet, s’il est bien exécuté, fera augmenter le cours de l’action. Le détenteur d’actions peut très bien s’en accommoder car ce qu’il n’a pas eu en dividende a été gagné en augmentation du cours de l’action. Ainsi un investisseur, au sens général, a globalement intérêt qu’une entreprise investisse dans tous les projets à partir du moment où ils sont créateurs de valeur. Or la réussite des projets d’investissements, de même que la disponibilité du financement pour les entreprises dépend avant tout de la conjoncture économique. Pour faire simple, en période de récession, les projets attractifs sont plus rares qu’en période de prospérité. Et si une entreprises n’a pas à disposition de projets créateurs de valeur, elle continue à fidéliser ses actionnaires par des dividendes afin de pouvoir faire appel à eux le jour où il sera à nouveau bénéfique d’investir et que l’autofinancement ne suffira pas.

Le quatrième constat, c’est que cela démontre un mépris de l’investissement financier, qui reste, qu’on le veuille ou non, le driver de l’investissement productif. Or, si le gouvernement qui a institué le « redressement productif » en tant que l’une de ses missions principales compte relancer l’investissement « physique » des entreprises en décourageant l’investissement en « capital » de la part des investisseurs privés, il se dirige vers de très graves désillusions.

Je pense que la France a intérêt à garder une base solide d’investisseurs français, qu’il s’agisse des riches investisseurs, des grandes familles industrielles, ou des petits porteurs. Ces investisseurs sont le rempart contre les investisseurs étrangers peu scrupuleux à l’égard des salariés et de la société française en général, et qui n’hésiteront pas à fermer ou délocaliser les centres de production. Les investisseurs nationaux sont les garants du très à la mode « produire français » et nous avons intérêt à ce que leur épargne serve à financer les investissements productifs français que ceux des entreprises étrangères. Mais pour cela, il faut accepter de faire des concessions en termes d’impôts, et les laisser bénéficier, au moyen d’une fiscalité raisonnable, des fruits de leurs investissements. Ces investissements sont in fine générateurs de croissance, même le gouvernement a donc à y gagner.

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