4 mars 2012

La Défense, oubliée de la campagne, oubliée de la politique

Il n’y a pas mieux que la citation du Général de Gaulle lors du deuxième discours de Bayeux en 1952 pour illustrer l’importance de la Défense nationale : « La Défense ! C’est la première raison d’être de l’Etat. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même ». Aujourd’hui, l’Armée française est impliquée dans de nombreux théâtres, et pas des moindres, tels l’Afghanistan. Elle a mené en 2011 une guerre contre la Libye de Khadafi, et ne parlons-nous pas régulièrement d’une potentielle intervention en Syrie, ou même d’une guerre avec l’Iran ? Sans oublier la menace de divers groupes fanatiques ou indépendantistes.

Il est donc primordial pour la puissance mondiale qu’est la France de garder un outil de Défense adapté aux différentes menaces qui pèsent sur la sécurité des Français. C’est à sa politique de Défense que se mesure l’ambition d’un pays à compter parmi les nations ainsi que sa capacité à assurer sa propre sécurité, sans dépendre de ses alliés. A l’heure où le monde devient de plus en plus multipolaire, avec l’émergence de nouvelles puissances (la Chine vient d’annoncer une importante augmentation de son budget de Défense, la Russie et le Brésil prévoient eux aussi de fortement réarmer), la voix de la France ne sera pas écoutée si elle n’a pas une Défense digne de ce nom et une armée moderne et opérationnelle.

Et pourtant, dans cette période de campagne électorale, la « Grande Muette » est surtout devenue la « Grande Oubliée ». C’est pourtant un des budgets les plus importants de l’Etat ; les enjeux, nous l’avons vu, sont colossaux ; des militaires français – il faut le dire – meurent ou risquent leur peau tous les jours pour la sécurité des Français. Mais non, les candidats préfèrent dépenser leur énergie et utiliser leur verve pour offrir le spectacle pathétique qui est celui de la campagne présidentielle actuelle, où foisonnent petites phrases assassines et propositions populistes irréalisables.

Bon, d’accord, pas de jugement péremptoire. En bons citoyens naïfs que nous sommes, soucieux des questions de sécurité et de défense, demandons-nous ce que les candidats, qui occuperaient la fonction de Chef des Armées au cas où ils seraient élus, proposent en matière de Défense.

Je tape « proposition Sarkozy défense » sur google. Ah, en deuxième, un lien qui date de 2007. Plus de succès du côté des jeunes pop’s ? 18 propositions pour 2012 sur 6 thèmes, à savoir Sécurité/Justice, Education, Emploi, Logement, Famille, La France/ses valeurs. Rien sur la Défense ? Je vais voir à la page Sécurité… Ah non il ne s’agit que de sécurité intérieure. Sur le thème de la France ? Non plus… Bref je n’ai pas trouvé les propositions, elles doivent être bien cachées. Surprenant pour une « France Forte ».

Allons voir du côté du Parti Socialiste, qui a un joli passif en matière de Défense. Le passage d’Alain Richard entre 1997 et 2002 se fait encore sentir du côté des programmes d’armement… Que propose François Hollande ? Je tente une approche plus large et google « propositions François Hollande 2012 ». Je vais voir le projet présidentiel… AH OUI ! Les propositions 59 et 60 d’un projet de… 60 propositions. Si la place des propositions en dit long sur l’ordre des priorités, reconnaissons qu’il y a des propositions pour la Défense. Quelles sont-elles ? Retrait des troupes d’Afghanistan, et maintien d’une « ambition nationale élevée pour notre outil de défense ». Mais bon, ça manque de concret, ce qui me laisse penser qu’il y ait peu de chance qu’au PS, en matière de Défense, le changement soit maintenant…

Dominique de Villepin ? Je vais essayer de regarder cela très objectivement, bien que je reste encore sous le choc de sa proposition n°13 que j’ai vue hier soir sur Twitter avant de me coucher : « Permettre le vivre-ensemble via une école du socle ». On sent tout de suite l’homme de terrain… Regardons ses propositions en matière de Défense. Les six thèmes du projet : « Effort collectif », « Rassemblons-nous », « Justice sociale », « Vè République », « Economie Société Environnement », « Service Citoyen Revenu ». Agacé, je vais voir la synthèse du projet, CTRL-F « Défense », rien. Pour un soi-disant ponte des relations internationales, admirateur de Napoléon, ne rien proposer pour la Défense est révélateur de cet esprit de compromission qui caractérise la classe politique aujourd’hui, et qui a déjà caractérisé M. de Villepin lorsqu’il a refusé de participer aux commémorations du bicentenaire d’Austerlitz en 2005.

Nul besoin d’aller plus loin, tout est clair. Pour la plupart des candidats, la Défense restera une variable d’ajustement des autres budgets, où tout l’enjeu sera de préserver un minimum de capacité pour participer aux grandes opérations internationales, mais si possible sans faire la guerre. Vous comprenez, la guerre, c’est pas bien.  Et au fond, pourquoi payer pour des chars et des porte-avions alors qu’on pourrait payer pour des écoles ?

Je reviens à la citation du Général de Gaulle. Reléguer la Défense  au second rang des priorités, c’est oublier 2000 ans d’histoire, et deux Guerres mondiales qui ont vu plusieurs millions de soldats français mourir pour préserver l’existence même de la France. Mais c’est surtout compromettre l’indépendance de la France dans tous les domaines, et se refuser les moyens d’assurer la paix, qui sera la condition sans laquelle nous ne pourrons construire la société de demain.

PS : A l’heure actuelle, où les candidats à la présidentielle rivalisent d’imagination pour compenser leur manque d’idées, 3600 soldats français sont actuellement en Afghanistan dans le cadre de leur mission au service de la France. Sauf erreur de ma part, 26 sont morts en 2011, et 82 depuis le début de notre engagement

4 commentaires:

A.V. a dit…

Un article très intéressant ! Même si je partage la grande partie de ce que tu as écrit, j'interprète davantage le manque d'intérêt des politiques et des Français pour le thème de la Défense nationale comme un délitement du lien armées-Nation plutôt que comme une perte de vitesse de nos armées. Le budget du MinDef est d'ailleurs l'un des seuls (le seul ?) à ne pas diminuer en 2012 par rapport à 2011 (et il n'a pas non plus été diminué depuis 10 ans).

Unknown a dit…

Merci pour ta contribution!

C'est vrai que c'est une vraie question, et j'ai choisi de me concentrer sur le désintérêt des politiques pour l'armée, bien que, comme tu le dis, ce soit intimement lié à un délitement du lien armée nation.
Néanmoins, je pense qu'on est entré dans une phase où les Français ont quand même une certaine "affection" pour les militaires, preuve en est tous les succès des manifestations militaires (défilés, cérémonies d'hommage aux morts etc). Peut-être la plupart ont ils fait la part des choses entre les militaires qui se battent pour la France, et la politique qui décide de leur engagement. Ainsi, si la plupart des Français sont pour le retour des soldats d'Afghanistan, cela ne se traduit pas par une défiance envers les militaires, au contraire.
Après, les politiques ont aussi un rôle à jouer pour renforcer le lien armée-nation, et cela passe notamment par continuer à donner aux militaires les moyens de leur mission.

Et de ce point de vue, je ne suis malheureusement pas aussi enthousiaste que toi en ce qui concerne le budget de la défense. Car s'il n'a pas été "diminué", il n'a quand même pas augmenté, depuis plusieurs dizaines d'années, au même taux que le budget de l'Etat, ce qui a entraîné une forte diminution de sa part en % du PIB.
Et aujourd'hui on sait que les armées sont à flux tendus en terme d'hommes et d'équipements du fait des ambitions internationales toujours élevée des gouvernements.

Anonyme a dit…

Citation du Maréchal de Saxe: "il en est des soldats comme des manteaux, on se rappelle leur existence quand approche la tempête".

J'en tire comme conclusions que les choses ne datent pas d’aujourd’hui; et les mêmes causes ayant globalement les mêmes effets (toutes choses égales par ailleurs.....lol), il n'y a pas de quoi être optimiste!

Le Pipo.

Anonyme a dit…

Article super intéressant.
Ce qui est regrettable, c'est qu'on a eu l'occasion de parler Defense pendant la campagne: quand la France a "gagné" (passons les détails techniques) le contrat avec l'Inde pour ses Rafales. C'eut été l'occasion parfaite de parler Defense et ses enjeux politiques/ internationaux / industriels.
Mais la encore il n'y eu qu'un (mini) debat ridicule sur les relations Sarko/Dassault, ou la légitimité de Dassault a gagner un tel appel d'offre, ou "Le Rafale gagne enfin un contrat a l'etranger" etc.
Alors qu'on aurait pu avoir un débat tellement intéressant sur la place de la défense en France....
Je pense que c'est aussi a lier a ton dernier article sur le rapport medias / sujets complexes. Les medias pourraient porter le débat, lever son intérêt. Ils auraient pu partir de Dassault pour soulever les problèmes de Défense. Mais comme tu le souleves, on ne touche pas aux sujets trop complexes. Quel dommage.

J.B.