« Les Français veulent que nous restions une des quatre grandes puissances militaires mondiales » disait Hervé Morin jeudi 24 juillet. Pourtant, suite à l’annonce de la carte des sites militaires qui fermeront leurs portes ces prochaines années, dans la lignée de la publication du nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, c’est à s’y méprendre. Plus de 83 sites vont fermer, dans le cadre de transferts ou de fermetures définitives. Au total, selon les termes du Premier ministre F. Fillon, « l'armée de terre aura perdu 20 régiments et bataillons », « l'armée de l'air 11 bases aériennes » et la Marine « une base aéronavale ». Faire mieux avec un septième des effectifs en moins et des économies réalisées qui vont à peine maintenir le budget au niveau de l’inflation, le défi est digne des 12 travaux.
Pourtant, aucun débat public passionné sur la place de la France dans le monde et la pertinence de la réforme entreprise, et aucun cri d’orfraie – que l’opinion avait l’habitude de pousser lorsqu’on touchait à son armée. Qui se souvient de l’Affaire Dreyfus, pour laquelle la France s’est divisée sur la question de la préservation de l’honneur de son armée ? Celui-ci se trouvait-il dans la reconnaissance de l’injustice faite au capitaine Alfred Dreyfus, ou bien dans l’intouchabilité de la dernière institution portant les valeurs de la France traditionnelle ? Cet épisode est un événement que l’on peut définitivement reléguer à l’histoire, moins parce qu’il s’est déroulé il y a plus d’un siècle que parce que le paradigme plaçant l’armée comme institution centrale de la société n’est plus d’actualité. Le « consensus sur la défense », expression censée traduire ce lien traditionnel, fusionnel et particulier entre le peuple français et son armée, n’est plus. L’armée n’attise même plus la haine, elle suscite l’indifférence. En effet, un autre consensus semble s’être substitué à cela, et il s’est révélé au grand jour après l’annonce de la nouvelle carte militaire. Ce consensus, c’est celui des commerçants. A écouter les médias français, et en premier lieu les différents journaux télévisés, la réforme de la carte militaire est un drame pour les communes qui perdent leurs régiments, car le départ des militaires et de leurs familles sera un coup dur pour les activités économiques locales. D’où la grogne des députés, de tous bords politiques – qu’il est beau de voir enfin un consensus qui transcende les clivages.
Ainsi, depuis trois jours, on assiste à l’enchaînement des interviews des commerçants de Bitch, Augny, Commercy, Senlis, qui sont en désarroi. Suivent les analyses statistiques, qui nous montrent – au cas où on ne l’aurait pas encore compris – l’importance de la présence des militaires pour ces petits commerces. C’est 10%, 15% voire plus du chiffre d’affaire va disparaître, que faire donc? Heureusement que le gouvernement a tout prévu : des subventions de l’ordre de 320 millions d’euros pour les communes les plus touchées, des avantages fiscaux, des créations de zones franches etc. Bref, toute la panoplie médiatique pour attirer l’attention de l’opinion sur le drame des commerçants a été déployée, avec succès.
Au fond, ce n’est pas tant le fait d’attirer l’attention sur la reconversion des villes touchées qui est condamnable. Ce qui est grave, c’est ce pouvoir des médias – dont ils usent en permanence – à générer l’unanimité dans l’inconscient général quant aux questions prioritaires, aux enjeux prioritaires, et aux victimes prioritaires. Animés par cette avidité du scoop, de l’immédiat, de l’émotion, du fait divers et de la réaction à chaud, les médias – et la télévision au premier plan – sont cloués à la règle sacro-sainte mais très contestable selon laquelle les Français ne sont intéressés que par ce qui les touche directement et immédiatement – ou qui pourrait les toucher de la même manière. Il est trop facile de considérer que les gens ont suffisamment de libre-arbitre pour faire la part des chose. Au contraire, la télévision est l’outil de propagande parfait, car il allie les pouvoirs de l’image et du son dans un subtil mélange qui a un impact certain sur des cerveaux pour la plupart passifs et non alertes – ce qui peut se comprendre après une longue et fatigante journée de travail. Et quoi de plus subtil que de masquer ces caractéristiques derrière des pseudo-labels de neutralité tels que les expressions « service public » ou « information » ?
La question du pouvoir des médias audiovisuels est trop vaste, et ce n’est certainement pas la dernière fois qu’elle est abordée. Mais en ce qui concerne le sujet initial, à savoir la réforme de notre outil de défense, la responsabilité des médias est écrasante dans la minimisation des enjeux nationaux et stratégiques et l’exagération du sort des commerçants. Qui a entendu récemment une seule personne relativiser les conséquences de la réforme pour les commerçants, en constatant par exemple qu’une diminution de l’activité quelque part signifie – toutes choses égales par ailleurs – une augmentation de l’activité autre part ? Qui a entendu les médias insister sur le fait que si cette réforme est dramatique, ce n’est pas pour les commerçants mais pour la place de la France dans le monde ? Pas moi…
Pourtant, aucun débat public passionné sur la place de la France dans le monde et la pertinence de la réforme entreprise, et aucun cri d’orfraie – que l’opinion avait l’habitude de pousser lorsqu’on touchait à son armée. Qui se souvient de l’Affaire Dreyfus, pour laquelle la France s’est divisée sur la question de la préservation de l’honneur de son armée ? Celui-ci se trouvait-il dans la reconnaissance de l’injustice faite au capitaine Alfred Dreyfus, ou bien dans l’intouchabilité de la dernière institution portant les valeurs de la France traditionnelle ? Cet épisode est un événement que l’on peut définitivement reléguer à l’histoire, moins parce qu’il s’est déroulé il y a plus d’un siècle que parce que le paradigme plaçant l’armée comme institution centrale de la société n’est plus d’actualité. Le « consensus sur la défense », expression censée traduire ce lien traditionnel, fusionnel et particulier entre le peuple français et son armée, n’est plus. L’armée n’attise même plus la haine, elle suscite l’indifférence. En effet, un autre consensus semble s’être substitué à cela, et il s’est révélé au grand jour après l’annonce de la nouvelle carte militaire. Ce consensus, c’est celui des commerçants. A écouter les médias français, et en premier lieu les différents journaux télévisés, la réforme de la carte militaire est un drame pour les communes qui perdent leurs régiments, car le départ des militaires et de leurs familles sera un coup dur pour les activités économiques locales. D’où la grogne des députés, de tous bords politiques – qu’il est beau de voir enfin un consensus qui transcende les clivages.
Ainsi, depuis trois jours, on assiste à l’enchaînement des interviews des commerçants de Bitch, Augny, Commercy, Senlis, qui sont en désarroi. Suivent les analyses statistiques, qui nous montrent – au cas où on ne l’aurait pas encore compris – l’importance de la présence des militaires pour ces petits commerces. C’est 10%, 15% voire plus du chiffre d’affaire va disparaître, que faire donc? Heureusement que le gouvernement a tout prévu : des subventions de l’ordre de 320 millions d’euros pour les communes les plus touchées, des avantages fiscaux, des créations de zones franches etc. Bref, toute la panoplie médiatique pour attirer l’attention de l’opinion sur le drame des commerçants a été déployée, avec succès.
Au fond, ce n’est pas tant le fait d’attirer l’attention sur la reconversion des villes touchées qui est condamnable. Ce qui est grave, c’est ce pouvoir des médias – dont ils usent en permanence – à générer l’unanimité dans l’inconscient général quant aux questions prioritaires, aux enjeux prioritaires, et aux victimes prioritaires. Animés par cette avidité du scoop, de l’immédiat, de l’émotion, du fait divers et de la réaction à chaud, les médias – et la télévision au premier plan – sont cloués à la règle sacro-sainte mais très contestable selon laquelle les Français ne sont intéressés que par ce qui les touche directement et immédiatement – ou qui pourrait les toucher de la même manière. Il est trop facile de considérer que les gens ont suffisamment de libre-arbitre pour faire la part des chose. Au contraire, la télévision est l’outil de propagande parfait, car il allie les pouvoirs de l’image et du son dans un subtil mélange qui a un impact certain sur des cerveaux pour la plupart passifs et non alertes – ce qui peut se comprendre après une longue et fatigante journée de travail. Et quoi de plus subtil que de masquer ces caractéristiques derrière des pseudo-labels de neutralité tels que les expressions « service public » ou « information » ?
La question du pouvoir des médias audiovisuels est trop vaste, et ce n’est certainement pas la dernière fois qu’elle est abordée. Mais en ce qui concerne le sujet initial, à savoir la réforme de notre outil de défense, la responsabilité des médias est écrasante dans la minimisation des enjeux nationaux et stratégiques et l’exagération du sort des commerçants. Qui a entendu récemment une seule personne relativiser les conséquences de la réforme pour les commerçants, en constatant par exemple qu’une diminution de l’activité quelque part signifie – toutes choses égales par ailleurs – une augmentation de l’activité autre part ? Qui a entendu les médias insister sur le fait que si cette réforme est dramatique, ce n’est pas pour les commerçants mais pour la place de la France dans le monde ? Pas moi…
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