C’est dans les périodes de crise que l’on voit si une organisation ou un
système est efficace. Les dix jours de mort et d’angoisse que la France vient
de vivre et qui se sont terminés par la mort de Mohammed Merah en disent long
sur notre système socio-politico-médiatique, voire notre société entière. Si je
laisse de côté la dimension purement politicienne (les Mazerolle-Duhamel-Barbier-Aphatie-Askolovitch
et leurs armées de sondeurs vous en parleront toujours bien plus que moi et avec
beaucoup plus d’imagination) et les polémiques de bas étage sur l’intervention
du RAID que mon manque d’expertise m’empêche de commenter avec pertinence,
voilà quelques conclusions que j’ai tirées de ces dix jours de folie :
1) L’idéologie gangrène le débat démocratique
Jusqu’à ce que le voile se lève sur l’identité du tueur, le bal des
personnes publiques surenchérissant d’indignation et de condamnations nous a
laissé entrevoir la réelle inquiétude de bon nombre d’entre eux : ils
auraient préféré que le tueur soit un raciste et non un fondamentaliste
musulman. Si je peux comprendre qu’un réel effort doive être fait afin d’éviter
que les honnêtes gens de confession musulmane subissent les conséquences des
agissements d’un fou se réclamant de l’Islam, j’ai du mal à comprendre le
réflexe idéologique consistant à vouloir que la réalité se colle à l’analyse idéologique
préétablie.
Ce réflexe est symptomatique de cette catégorie de bien-pensants qui
préfèrent entretenir des mythes, du moment qu’ils vont dans le sens de leur réalité
idéologique, bien que ce soit au détriment de LA réalité. C’est ainsi que l’identité
du terroriste n’était pas encore connue que l’on condamnait unanimement le
racisme et mettait en cause ce climat délétère de la France où l’on pointerait
du doigt l’étranger, le Noir, ou l’Arabe, ce qui pousserait in fine les
racistes à commettre des actes atroces. Cette grille de lecture est dangereuse
en ce qu’elle formate le débat public en le communautarisant, et l’impose comme
seule grille de lecture légitime des événements. Elle met une chape de plomb
sur le débat et empêche de discerner les vrais problèmes de ceux montés de
toutes pièces. La politique devrait être avant tout le lieu où l’on
trouve des solutions
aux problèmes, et non l’inverse.
J’imagine la grande désillusion de certains de voir que l’identité du tueur
ne collait pas à ce qu’ils avaient espéré (Nicolas Chapuis, journaliste au
Nouvel Obs). C’est une forme de claque qui fait remettre les pieds sur terre et
ramène à la réalité, cette réalité niée : celle que la menace islamiste
existe, et que ne pas le nier n’est pas « stigmatiser » les Musulmans ;
celle qu’une page facebook à la mémoire du tueur de Toulouse a été créée et a
recueilli plusieurs centaines de visites en quelques heures (j’aimerais que mon
blog ait un tel succès…) etc.
La responsabilité politique et médiatique ne peut consister à faire croire
aux gens qu’il ne s’agit là que d’épiphénomènes, voire de mythes. Aurons-nous
besoin d’autres morts pour nous le rappeler ?
2) Les médias ne sont pas responsables
Les événements récents remettent aussi sur la table la question de la
responsabilité, voire de la régulation, des médias. C’est une question qui se
pose aussi au Royaume-Uni pour une autre raison – le piratage de téléphones –
et amène à une impasse : garantir à la fois la liberté et la
responsabilité de la presse est une équation quasi impossible à résoudre. Habitant moi-même à l’étranger, j’ai un accès limité aux médias français.
Mais j’ai tout de même pu relever les exemples suivants qui m’ont
particulièrement choqué :
- Les dépêches contradictoires sur les sites
des grands journaux :
« L’assaut lancé » qui se transforme ensuite en « L’assaut
lancé ? », puis « L’assaut n’a pas été lancé ». La
recherche absolue du scoop amène à dire des énormités. Tant pis pour le
lecteur. Il est d’ailleurs intéressant de voir que l’affaire Florence Schaal,
journaliste de TF1 qui avait été licenciée de la chaîne il y a quelques années
pour avoir annoncé en plein journal télévisé la mort d’un petit garçon disparu
qui avait été en fait retrouvé sain et sauf, s’est terminée sur la conclusion
que mentir effrontément à des millions de téléspectateurs n’est pas, pour un
journaliste, une « faute grave » (source : wikipedia).
- Les conclusions hâtives, résultat du cocktail – mortel pour
l’information – du besoin de meubler et du manque de sources. Parler pour ne
rien dire amène forcément à dire n’importe quoi. Ainsi, la dernière fusillade
entre M. Merah et les hommes du RAID a interrompu de longues envolées
journalistiques destinées à expliquer que M. Merah était probablement décédé en
raison de son silence pendant la nuit.
- - Le mépris des personnes interrogées : à la radio, dans les minutes
suivant la fusillade et la mort du tueur, les journalistes ont interrogé le
représentant d’un syndicat de police, espérant y glaner quelques informations
précieuses sur le déroulement de l’opération. S’apercevant vite que l’homme
n’en sait pas plus qu’eux, et n’ayant que faire de ses explications sur le rôle
de la police et des moyens mis en œuvre dans cette affaire, ils l’interrompent
donc par leur légendaire « merci » et passent à autre chose
- Les rapports de cause à effet fallacieux, destinés plus à donner l’apparence du
journaliste qu’à chercher de vraies explications aux faits. Christophe Barbier
a ainsi fait preuve d’audace lorsqu’il a demandé à Marine Le Pen en direct à la
télévision si le débat sur la viande hallal qu’elle avait initié pouvait être
une des raisons pouvant avoir poussé le tueur à agir. S’il est dans l’essence
du journalisme de « questionner », je ne pense pas que poser des
questions débiles en soit une implication nécessaire.
Le dénominateur commun de tous ces exemples est un manque cruel de
professionnalisme de la part de journalistes qui ne se font pas une opinion
assez haute de leur fonction. Les médias doivent considérer leurs invités, l’Information
(avec un grand I), et surtout leur public avec plus de respect. Pour ma part,
j’aurais tendance à penser que la création d’organismes d’observation et de
contrôle indépendants est une piste intéressante pour inciter la caste
médiatique à plus de professionnalisme.
3) La République est trop faible
Le fait que le tueur et son parcours étaient déjà connus des services de
renseignement, que l’homme était déjà sous surveillance, pose des questions
quant à la volonté, notamment juridique, de la République d’accomplir sa
mission d’assurer la sécurité des citoyens. Cette affaire montre que nous
devons nous interroger sur la République que nous voulons, et plus précisément
sur là où nous voulons placer le curseur entre libertés individuelles et
intérêt général.
La question du renseignement est de première importance. On ne peut pas à
la fois lutter contre toutes les formes de fichage et reprocher aux services de
renseignements de ne pas être remontés assez vite à M. Mehra.
La question de vouloir mettre les
moyens est aussi importante : être un délinquant récidiviste, qui plus est
notoirement connu pour s’être entraîné dans des camps d’entraînements
terroristes au Moyen-Orient, n’est-ce pas là un bagage suffisant pour être
considéré comme un danger majeur pour la société, justifiant ainsi d’imposer
des mesures contraignantes dans le but de protéger la société ? Le but du
renseignement n’est, au fond, que d’aider à prendre les bonnes décisions.
Il est triste, et frustrant, de penser que des morts auraient pu être
évitées si la République s’était peut-être vue plus forte et plus ferme,
notamment à l’égard de terroristes qui utilisent les libertés individuelles
qu’elle offre pour mettre en œuvre leurs projets destructeurs.
L’opposition entre liberté individuelle et sécurité existe, mais sans
sécurité, il n’y a pas de liberté possible. Dans nos sociétés marchandes où
nous considérons souvent la sécurité comme acquise, nous ne devons pas oublier
qu’elle est en réalité chèrement défendue au quotidien par nos soldats,
gendarmes et policiers ; ces mêmes hommes tués ou blessés par ce tueur qui
avait choisi, sur le territoire même de la France, de les combattre.