Les politiques sont prêts à n’importe quoi pour être élus, il n’y a rien de
nouveau à cela. Mais dans ce spectacle médiatico-marketing qu’est la campagne
présidentielle, dans cette bataille de chiffres venus de nulle part, une mesure
annoncée ne fait son effet que si elle est accompagnée de son impact
chiffré sur le budget de l’Etat. Peu importe comment cet impact est calculé, à
partir du moment où cela respecte les commandements médiatiques suivants :
1)
Il faut
un chiffre
2)
Plus ce
chiffre est grand, plus la mesure retentira dans les médias (version édulcorée
de « plus c’est gros, plus ça passe)
Dans cette course – que dis-je, cette inflation ! – à qui donnera les
chiffres les plus retentissants, je suis toujours impressionné par le culot des
politiques, gauche comme droite, consistant à utiliser le raisonnement
« toutes choses égales par ailleurs » (TCEPA) à l’appui de leurs
idées.
Qu’est ce que le raisonnement TCEPA ?
Le raisonnement TCEPA (ceteris
paribus en latin) consiste, dans l’analyse d’une situation complexe, à
analyser un paramètre en supposant que les autres soient gelés, l’idée étant
que si ces paramètres n’étaient pas gelés, ils influeraient sur notre analyse
du paramètre observé. C’est le raisonnement derrière tous les « si,
j’aurais », exemple : « si j’avais vécu pendant la Deuxième
Guerre mondiale, j’aurais été résistant ». Le seul paramètre analysé est
« moi », tous les autres sont gelés.
C’est un raisonnement toutes choses égales par ailleurs.
Si ce raisonnement possède des propriétés théoriques intéressantes,
notamment afin d’analyser les interactions entre variables indépendantes et
dépendantes, il trouve naturellement très rapidement ses limites lorsque l’on
veut en tirer des conclusions, car il n’intègre qu’une seule dimension d’un
problème. Mais cela n’empêche pas notre classe dirigeante de l’utiliser à
maintes reprises pour défendre leurs idées et y apporter la fameuse
« caution médiatique chiffrée ».
C’est pourquoi il est souvent utilisé dans le domaine de la fiscalité et du
budget de l’Etat, car c’est là qu’il permet de manipuler les Français avec une
crédibilité certaine, en établissant un lien direct entre un « manque à
gagner » et « un gain potentiel » alors que le changement d’un
paramètre entraînerait une réaction en chaîne qui modifierait considérablement
ce gain potentiel.
Exemples :
1)
La
fraude fiscale (sujet de prédilection de Mme Royal) : Elle est estimée à
environ 50 milliards par la Commission Européenne, donc une politique efficace
de lutte contre la fraude permettrait de récupérer 50 mds dans le budget de
l’Etat.
C’est FAUX car raisonnement
TCEPA : si le manque à gagner est de 50 mds avec les paramètres
d’aujourd’hui, un renforcement des contrôles fiscaux découragera une grande
partie de cette activité non déclarée, ce qui réduira d’autant le gain
potentiel pour l’Etat.
2)
La taxe
sur les transactions financières : Unitaid a estimé qu’elle pouvait
ramener EUR 4 mds au budget de l’Etat, l’Elysée en attend EUR 1 md.
Ces chiffres
prennent-ils en compte le fait qu’une telle taxe aurait pour effet de 1) rendre
bon nombre de ces transactions non profitables 2) encourager toutes les
institutions financières à effectuer leurs transactions ailleurs, à un coût
très faible. Les orthodoxes de l’économie de marché y voient aussi un facteur
d’instabilité et de volatilité sur les marchés financiers, qui peut donc être
générateur de pertes pour l’économie. Bref, je suis certain que la réalité est
bien loin des chiffres annoncés
3)
Une
nouvelle tranche d’impôt à 75% pour les revenus supérieurs à EUR 1 m par an
toucherait environ 15 000 à 20 000 foyers fiscaux et rapporterait EUR
200 à 250 m.
Alors ça si ce n’est
pas un raisonnement TCEPA… Qui gagne plus d’1m par an en France ? Des
rentiers, des chefs d’entreprises, des sportifs. Si une telle mesure passait,
il y aurait fort à parier qu’il y aurait un exode vers l’étranger dans les
première et troisième catégories, ainsi que de nouveaux artifices fiscaux qui
permettraient à bon nombre de concernés d’y échapper.
La vie, et pas seulement la politique, est pleine de raisonnements TCEPA.
Si votre patron vous dit que vous serez augmenté l’année prochaine, il suppose
que vous et lui serez toujours en place à ce moment là.
Donc si un jour vous êtes confrontés à quelque chose qui ressemble à ce
type de raisonnement, dites-vous que c’est certainement le « déconomètre »
qui se remet à « fonctionner à plein tube »…
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