Le monde moderne n’a pas fini de nous réserver des surprises. Dans la lignée des associations qui reçoivent « trop de dons » (cf. Tsunami 2004), Apple a inventé le concept de l’entreprise qui a « trop de cash ».
C’est ce qu’a révélé le nouveau PDG d’Apple, Tim Cook, il y a quelques
semaines. « Apple has too much money ». USD 98 mds pour être exact, une somme qui n’a rien
à envier à celle de l’Oncle Picsou. Mais si c’est là le rôle d’une entreprise
de gagner de l’argent, en quoi est-ce un problème d’en avoir beaucoup ?
Certes il existe des explications à une telle situation, et il nous faut
pour cela plonger dans la culture d’Apple. Il y a une quinzaine d’années
encore, Apple vivait de grandes difficultés financières et avait rappelé son
fondateur, Steve Jobs (qui avait auparavant été éjecté de l’entreprise qu’il avait
créée), au siège de PDG. Celui-ci décida alors de stopper les versements de
dividendes aux actionnaires afin de totalement réinvestir dans l’entreprise les
cash flows générés. Les actionnaires d’Apple, privés de dividendes, seraient
alors récompensés par l’augmentation de la valeur de l’action Apple.
Cette stratégie fut payante, avec le succès que l’on connaît, mais Apple
connaît dorénavant un problème nouveau : les cash flows générés étant
immenses, l’entreprise n’est pas en mesure de les réinvestir dans des projets
suffisamment créateurs de valeurs. Cela combiné avec une politique inchangée de
non-versement de dividende, et on aboutit à la situation ubuesque d’aujourd’hui :
Apple a trop de cash, ce qui lui vaut régulièrement le titre de « plus
gros destructeur de valeur » au monde, alors que sa capitalisation est
parmi les premières mondiales. Si on ajoute à cela des raisons fiscales qui
dissuadent Apple de rapatrier aux Etats-Unis son cash en devises étrangères, on
a fait le tour de ce qui motive les dirigeants d’Apple à faire dormir leur cash
et à répondre maladroitement aux analystes financiers qui demandent ce qu’ils
comptent en faire : « et ben en fait on en a trop ».
J’ai tout de même quelques difficultés à concevoir qu’une entreprise puisse
avoir trop d’argent. Ou, encore plus, il est difficile de concevoir que
quiconque puisse avoir trop d’argent (regardez Ribéry…), étant donné qu’il y
aura toujours quelque chose à faire de cet argent. Cette idée de « trop d’argent »
est en réalité intimement liée au fait que cet argent dort sur des comptes en
banque. S’il était utilisé, la question ne se poserait pas. Autrement dit, si
Apple était une entreprise « normale », elle verserait des dividendes.
Cet argent devrait revenir aux actionnaires étant donné qu’il ne peut être
investi dans des projets créateurs de valeurs. Mais cela en serait fini avec l’image
de l’entreprise qui garde tout son cash pour faire augmenter son cours de
bourse, ce serait un monde qui s’effondrerait et ébranlerait la foi dans Apple.
Après la mort de Steve Jobs, serait-ce une dimension importante de son héritage
qui serait détruite, bref le début de la fin d’Apple ? On a du mal à y
croire, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, d’autant plus
que la situation d’Apple aujourd’hui n’a rien à voir avec celle de 1995.
Apple va devoir sortir de ce piège qui se referme sur
elle, en résolvant le dilemme suivant : continuer à être l’électron libre
de l’économie et des marchés, protégée par la communauté quasi religieuse de
ses fans à travers le monde ; ou évoluer vers un modèle plus classique d’entreprise
qui rémunère ses actionnaires, ses sous-traitants, et qui paie des impôts dans
son pays. Si la première solution a été le modèle gagnant d’Apple ces quinze
dernières années, c’est grâce à une force d’innovation sans égale qui devait
beaucoup au génie de son créateur-PDG. Mais le monde change, et les attentes aussi.
A l’heure où pour les investisseurs « cash is king », il est
peut-être temps pour Apple d’adapter sa stratégie financière et mettre fin à
son mépris pour le cash, sous peine de connaître à l’avenir de graves
désillusions. Avoir du génie ne doit pas exclure de vivre avec son temps.
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