Il existe de nombreuses façons de se protéger, qui nous ont souvent été
enseignées par nos amis les animaux. Des réflexes simples, plus ou moins
ingénieux et au taux de succès variable – le risque zéro n’existe pas : se
cacher, se terrer, bluffer, effrayer, menacer, se camoufler, vivre en meute,
développer des outils de protection, etc. L’objectif ultime de la protection est
de limiter le risque qu’un danger existant affecte négativement le cours de
notre existence (au sens large). Le but est donc tout d’abord d’identifier les
dangers qui nous font courir un risque, puis de trouver la protection
appropriée à ce type de danger. Prenons le cas d’une très forte tempête qui
fait rage au dehors, faisant planer un risque d’écroulement de ma maison. Si je
sors mon pistolet pour me protéger de cette tempête, je risque d’avoir des
désillusions (je précise juste que je n’ai pas de pistolet, ça n’est qu’une
hypothèse). Par contre, si je me réfugie dans ma cave avec des provisions, il y
a des chances que ce soit plus efficace. Ou si, de nature inquiète, j’ai
anticipé la tempête en renforçant les fondations de ma maison et barricadant
les fenêtres, c’est encore mieux. Une protection est efficace lorsqu’elle réduit
le plus possible l’exposition au risque évalué (on ne parlera pas ici de la
notion de rendement qui accompagne souvent celle de risque afin de ne pas
compliquer les choses).
A l’échelle de la communauté, et plus précisément de la nation, ce
raisonnement marche aussi. L’Etat ne doit sa raison d’être qu’à la volonté
générale du groupe d’individus décidant d’abandonner leur liberté naturelle à
une institution supérieure, qui en échange garantira leur sécurité, condition sine qua non à l’établissement de la
liberté civile[i]. C’est
le contrat social, qui permet à l’homme de sortir de son état de nature :
l’Etat-protecteur est l’essence même de l’Etat (désolé pour ceux qui pensent
que le premier rôle de l’Etat est de conduire des trains). Concrètement,
qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’il n’y a rien de plus normal, la veille de
l’élection présidentielle d’attendre du prochain président qu’il protège ses
concitoyens face à tous les dangers qui les menacent. Cette attente est tout à
fait légitime : l’Etat détient la compétence de la compétence (décide de qui
est de son ressort ou pas) et le monopole de la violence légitime.
Les Français sont d’autant plus attachés à l’Etat-protecteur qu’ils sont
toujours restés réticents à mettre leur destin entre les mains du marché. Le
Français voit dans le système libéral la menace qu’exerce une concurrence
exacerbée sur l’ordre social d’une société de tradition rurale, tandis que
l’Anglais trouve son salut dans l’échange – après tout on a moins de chances de
se battre si on est des partenaires commerciaux. Pour l’Anglo-saxon (et surtout
l’Américain), l’Etat est d’autant plus protecteur que son action se limite à
ses fonctions régaliennes. Son intrusion est une menace sur les libertés
individuelles et un détournement de ses fonctions premières, à savoir préserver
la sécurité du peuple et assurer la justice. Je me souviens de cet Américain
qui parlait du droit de détenir des armes à feu. Pour lui, c’est une nécessité
de se protéger au cas où l’action de l’Etat fédéral vienne un jour empiéter sur
les libertés individuelles. Pour le Français, attaché à l’égalité, le degré
protecteur de l’Etat est une fonction croissante de son rayon d’action :
plus il en fait, mieux c’est. Certains y verront peut-être l’effet de
l’héritage marxiste et socialiste, il n’empêche que c’est un réflexe pavlovien
à la Française de se tourner vers l’Etat quand on a un problème, et d’en appeler,
face à la compétition internationale, au protectionnisme. Différence culturelle
fondée sur des histoires différentes ? Ces deux visions sont, à leur manière,
empreintes de bon sens : souvenez-vous, quand vous étiez gamins, du
costaud de la cour de récré ; vous sentiez-vous en sécurité ou en danger
en sa compagnie ?
Si on suppose que la France n’a plus grand-chose à craindre de l’Allemagne
et que l’Etat remplit globalement ses missions régaliennes, on peut plus ou
moins limiter le champ des menaces aux domaines économiques, sociaux (je vous
prie de bien vouloir m’excuser d’évacuer pour le moment la question
environnementale), qui eux-mêmes se rejoignent autour du thème du système
économique mondialisé. Le meilleur moyen de se protéger est-il d’accepter les
règles du jeu de la compétition mondiale ou de s’en isoler ? Peut-on assurer
l’efficacité économique et la viabilité du système social par le
protectionnisme ? La position de la France (5è puissance mondiale, tout de
même) est, depuis trente ans, très ambivalente sur ces questions, mais la crise
actuelle semble la mettre au pied du mur et précipiter le moment des choix
stratégiques quant à son avenir.
Difficile de répondre à ces questions sans courir le risque d’être
catalogué, celles-ci étant fortement teintées d’idéologie et la prétention de
ce blog étant moins d’y apporter des réponses qu’un regard neuf et indépendant.
Néanmoins, je reste persuadé qu’il est illusoire d’attendre de l’Etat qu’il
mette des barrières efficaces dans un système économique mondialisé. Pourquoi ?
Parce que prospérité économique implique échange, et échange implique
ouverture. Et aussi parce que dans n’importe quel système anarchique, non régi
par des lois, il n’est pas de barrière infaillible. A l’instar du monde
sauvage, les relations internationales sont un système anarchique, où l’Etat ne
dicte pas les règles, mais est inévitablement en concurrence. C’est une
FA-TA-LI-TE. Et c’est, selon moi, cette fatalité qui devrait inciter les
gouvernants à rendre le pays plus fort, car cela reste le meilleur moyen de
protéger l’ordre social dans un système international anarchique et mondialisé.
Il est illusoire de penser que le monde a besoin de la France pour avancer, et
que celle-ci sera écoutée, respectée, indépendante, et prospère si elle renonce
aux vecteurs de sa puissance. Et c’est pourquoi, à mon sens, protéger les
Français passe davantage par la compétitivité et l’assainissement des finances
publiques que par la sortie de l’Euro et le protectionnisme. Avouez, le destin
de lion fait quand même plus rêver que celui de gnou…
(… jusqu’au jour où le ciel nous tombe sur la tête, mais là on n’y pourra
pas grand-chose)
PS : désolé pour le titre un peu racoleur :)
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