Parmi les mesures fiscales en train d’être concoctées par le nouveau
gouvernement, il y aurait apparemment la création d’une taxe de 3% sur les
dividendes versés par les entreprises. Cette taxe serait prélevée au niveau de
l’entreprise, et non celui de l’actionnaire, et l’objectif d’une telle mesure serait
d’inciter les entreprises à réinvestir les bénéfices générés au lieu de les
distribuer en dividendes. En apparence, cela semble tenir d’une logique
implacable. Mais en réalité, c’est presque aussi stupide que l’ancienne
proposition de N. Sarkozy en son temps de vouloir imposer la règle des « trois
tiers » dans les entreprises (un pour les investissements, un pour la
participation des salariés, un pour les actionnaires).
Le premier constat d’une telle mesure, c’est qu’il s’agit de taxer une
troisième fois ce qui est déjà taxé à deux niveaux : les bénéfices au
niveau des sociétés, les dividendes au niveau de l’actionnaire. Dorénavant, à
cela s’ajoutera cette taxe de 3% sur le montant versé. Une telle mesure est d’autant
plus sournoise qu’elle donne l’impression de n’impacter que l’entreprise alors
que le coût réel sera in fine partagé
entre l’entreprise et ses actionnaires.
Le deuxième constat est que cela dénote une méconnaissance profondes des
forces sous-jacentes de l’investissement, et donc de la croissance. Pour une
entreprises, les trois leviers du financement de l’investissement sont l’autofinancement
(=les bénéfices réinvestis), la dette, et l’augmentation du capital. Or une
mesure telle que la taxation des dividendes encourage effectivement l’autofinancement,
mais elle décourage la base d’investisseurs potentiels qu’une politique de
dividendes intelligente est censée fidéliser. En effet, une politique de dividendes
sert à maintenir l’attractivité d’une entreprise vis-à-vis des investisseurs et
permet ainsi, le jour où de nouveaux investissements considérables sont à
entreprendre et nécessitent une augmentation de capital (=émission de nouvelles
actions), de disposer d’une base d’investisseurs enclins à investir.
Le troisième constat est que cela traduit une inculture totale en matière
de finance, étant donné que ce ne sont pas les dividendes qui dissuadent les
entreprises d’investir ! Une entreprise investit dans un projet lorsqu’elle
est convaincue que ce projet est créateur de valeur. Un tel projet, s’il est
bien exécuté, fera augmenter le cours de l’action. Le détenteur d’actions peut
très bien s’en accommoder car ce qu’il n’a pas eu en dividende a été gagné en
augmentation du cours de l’action. Ainsi un investisseur, au sens général, a globalement
intérêt qu’une entreprise investisse dans tous les projets à partir du moment
où ils sont créateurs de valeur. Or la réussite des projets d’investissements,
de même que la disponibilité du financement pour les entreprises dépend avant
tout de la conjoncture économique. Pour faire simple, en période de récession,
les projets attractifs sont plus rares qu’en période de prospérité. Et si une
entreprises n’a pas à disposition de projets créateurs de valeur, elle continue
à fidéliser ses actionnaires par des dividendes afin de pouvoir faire appel à
eux le jour où il sera à nouveau bénéfique d’investir et que l’autofinancement
ne suffira pas.
Le quatrième constat, c’est que cela démontre un mépris de l’investissement
financier, qui reste, qu’on le veuille ou non, le driver de l’investissement productif. Or, si le gouvernement qui a
institué le « redressement productif » en tant que l’une de ses
missions principales compte relancer l’investissement « physique » des
entreprises en décourageant l’investissement en « capital » de la
part des investisseurs privés, il se dirige vers de très graves désillusions.
Je pense que la France a intérêt à garder une base solide d’investisseurs
français, qu’il s’agisse des riches investisseurs, des grandes familles
industrielles, ou des petits porteurs. Ces investisseurs sont le rempart contre
les investisseurs étrangers peu scrupuleux à l’égard des salariés et de la
société française en général, et qui n’hésiteront pas à fermer ou délocaliser
les centres de production. Les investisseurs nationaux sont les garants du très
à la mode « produire français » et nous avons intérêt à ce que leur
épargne serve à financer les investissements productifs français que ceux des
entreprises étrangères. Mais pour cela, il faut accepter de faire des concessions
en termes d’impôts, et les laisser bénéficier, au moyen d’une fiscalité
raisonnable, des fruits de leurs investissements. Ces investissements sont in fine générateurs de croissance, même
le gouvernement a donc à y gagner.
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