Le système politique dans lequel nous vivons a cela d’exceptionnel
qu’au-delà des quelques années que dure un mandat, nul dirigeant n’est
responsable des décisions prises au cours de celui-ci. Il est même fichtrement
pervers, en ce que les décisions prises, en matière d’économie notamment,
voient souvent leurs effets se matérialiser des années plus tard. Autrement
dit, c’est maintenant qu’il faudrait commencer à juger l’action de Sarkozy. Essayez
d’imaginer comme ce serait drôle de voir le temps médiatique en décalage de
cinq ans avec celui de la prise de décision ? Attendre cinq ans, voire
dix, avant de juger l’intervention au Mali, le Mariage pour tous, les décisions
économiques, sociales etc., puis décider si l’on met au pilori (pas seulement
médiatique) ou non celui qui a pris les décisions à ce moment-là. Les décisions
prises seraient-elles différentes ? Ben tiens.
Assez rêvassé, revenons à nos moutons. L’intégrité de notre système, bien
qu’étant « le pire à l’exception de tous les autres » (sic), repose sur
un maillon tellement faible que je m’en trouve, naïvement et modestement,
presque confus d’être un des seuls à le formuler ainsi depuis longtemps :
l’intégrité de ses dirigeants. N’est-il pas très dangereux de confier les rênes
d’un pays à un individu qui n’est attaché à son devoir que par sa bonne foi
pour une durée limitée ? Si j’avais le culot d’un Desproges, je daignerais
même affirmer que cette pensée suscite en moi une once d’admiration pour les
nombreux dictateurs qui ont au moins assumé l’exercice du pouvoir et ses
conséquences jusqu’à leur mort naturelle ou provoquée. Si on y réfléchit, confier
l’exercice du pouvoir à un élu multi-récidiviste de métier depuis trente ans,
dont le seul risque après 5 ans à la Présidence de la République est de ne plus
pouvoir prendre le métro ou d’aller à la boulangerie de la mère Michu en bas de
la rue, cela équivaut un peu à confier le volant de sa Ferrari à un
immortel : au fond, hormis pour sa conscience, il doit pas en avoir
grand-chose à foutre si il crashe ceux qui sont sur la banquette arrière.
L’inverse est vrai aussi, car si l’on maintient notre hypothèse selon
laquelle toute décision d’ordre politique majeure ne génère des effets
observables et analysables que plusieurs années plus tard, il en est de même de
tout le crédit lié à une bonne mesure, dont profitera sans aucun doute celui
qui jadis était un opposant. Bref, pour notre dirigeant, le jugement de
l’histoire à dix ans, il n’en a pas grand-chose à carrer, étant donné que dans
dix ans l’histoire l’aura oublié sur l’autel des exploits filmés de la nouvelle
Kim Kardashian. C’est triste, injuste, mais c’est comme ça. D’ailleurs, vous,
votre institutrice bienveillante qui vous disait « Tu me remercieras plus
tard », vous l’avez remerciée depuis ? Non, ben vous voyez, vous ne valez
pas mieux, mais ce n’est pas de votre faute, c’est juste le système qui veut
ça. Pourtant vous la remercieriez bien.
Car vous avez parfaitement compris où je veux en venir. Loin de nous l’idée
que notre système est passé, en l’espace de deux paragraphes, au « pire à
l’exception de nul autre » (sic – elle est de moi celle-là). Mais il est
légitime de se poser des questions sur ce qui détermine réellement les
décisions politiques des dirigeants. Or, la nature temporaire du mandat
électoral dans un système démocratique conjuguée à l’immédiateté des attentes
générées par un système médiatique
intégré, aux multiples plateformes, génère naturellement un biais en
faveur des décisions aux conséquences directement et rapidement observables, et
ce au détriment des conséquences lentes, à long terme, qui affectent
profondément la société, sans que tout un chacun s’en rende compte. C’est même
plus pervers que cela, car le système politico-médiatique fait en sorte que ces
dernières n’existent même pas, en les oubliant dans un optimisme péremptoire de
type « mais noooon » ou « oh on verra bien », en supposant
qu’un problème ne doit être traité qu’au moment où il se pose, et non où il
devient visible.
Vous pouvez appliquer cela à tous les sujets, économiques, sociétaux,
internationaux, environnementaux. La lutte contre le réchauffement climatique
en est un exemple parfait : « oh on trouvera bien quelque chose ».
L’augmentation des impôts ? On voit les 0 qui entrent dans les caisses (ou
pas…), mais on voit moins le niveau des investissements qui baisse à l’horizon
5 ou 10 ans. Pour les sujets sociaux, je vous laisse juger.
Finalement, la décision politique répond aux mêmes lois que le marketing :
si cela ne se sait pas, cela n’existe pas. Et c’est ainsi que nous construisons
la société de demain : en prenant des décisions dont l’impact au-delà de 5
ans n’est même pas envisagé. Jusqu’à présent, avec de l’énergie pas chère et
des ressources illimitées pour générer de la croissance, ça passait. Mais à
partir de maintenant, pas besoin d’experts pour constater que cela va être plus
compliqué. A l’heure où le véritable défi pour l’humanité est celui de la durabilité de son système économique, faire reposer les
réponses sur un système qui a consacré le règne du court-terme, c’est pour le
moins très ambitieux, pour ne pas dire que c’est de la connerie. Votre
maîtresse d’école, si elle vous avait encouragé à jouer à Call of Duty au lieu de faire vos devoirs, auriez-vous simplement
envie de la remercier ? Permettez-moi d’en douter.
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