Trois jours, trois angles de vue sur cette question des hauts revenus qui déchaîne les passions : le mérite, la morale, le système. Un vrai casse-tête pour la République qui promeut la réussite sociale par le mérite tout en luttant contre les inégalités. Sportifs, managers d’entreprises, rentiers, ils représentent une part infime de la population mais leurs revenus suscitent de nombreuses critiques et réactions. Le temps médiatique offre des cris du cœur, des réactions indignées, sans profondeur. Je vous propose une analyse froide et plus complète sur une vraie question de société.
La récompense du mérite a sans aucun doute une justification morale. Mais n’est-ce pas non plus au nom de la morale que l’on pourrait légitimement définir la barrière entre la juste récompense et l’abus en matière de salaires et revenus ?
L’Egalité, principe fondateur de la République, au même titre que la
Liberté, renvoie avant tout à une égalité en droit. Elle ne renvoie pas, du
moins pas immédiatement, aux inégalités sociales de la société. En effet,
l’égalité en droit permet l’égalité des chances, point de départ de la
méritocratie républicaine.
Néanmoins, lorsque le mérite est perverti ou détourné par une dynamique de
marché, le risque est grand pour la société de devenir génératrice d’inégalités
sociales au-delà des limites du mérite. Il y a donc une forme d’injustice à ce
que certains gagnent des revenus disproportionnés. Mais est-ce pour autant
répréhensible par la morale ? Autrement dit, est-il immoral d’accepter une
rémunération exorbitante ? Le préjudice moral proviendrait du fait qu’il
est indécent d’accepter une rémunération disproportionnée alors que d’autres au
sein de la société peinent à avoir un niveau de vie décent. La faute ne serait donc
pas d’accepter une forte rémunération, mais de profiter de l’excès de
rémunération.
L’argument est fort. Suivre la logique de ce raisonnement conduirait à
penser que toute forme d’excès est moralement condamnable. Cette idée n’est pas
étrangère à la morale chrétienne, qui encourage – particulièrement pendant la
période du Carême – la modération et valorise la pauvreté afin de ne pas se
détourner de son prochain, et donc du Christ.
Ce serait donc l’utilisation de cet argent qui déterminerait la moralité de
la conduite individuelle. Plus précisément, je pense que l’utilisation faite de
cet argent détermine rétroactivement notre jugement sur la légitimité morale à
le recevoir. Je m’explique. Bill Gates a amassé, en tant que créateur,
propriétaire et dirigeant de Microsoft, une fortune colossale, d’environ USD 55
mds. Cette fortune lui a permis de fonder la Fondation Gates à vocation
humanitaire, qui a notamment permis de vacciner plusieurs dizaines de millions
d’enfants à travers le monde. Il est incontestable que l’utilisation
philanthropique de cet argent atténue le supposé préjudice moral engendré par les
gains. Au contraire, l’exemple de F. Ribéry qui dépense une partie de ses EUR
800 k mensuels pour se payer les « services » de Zahia, et plus
largement des footballeurs dont l’utilisation de l’argent a une utilité sociale
« limitée », influence négativement notre jugement sur la légitimité
morale de l’existence de leurs salaires, dépensés à des fins strictement
égocentrées. La philosophie anglo-saxonne des industriels philanthropes est
donc celle qui a réussi le mieux à concilier l’argent avec la morale car ceux
qui ont eu la chance d’avoir gagné de grosses sommes se sont sentis investis d’un
devoir de l’utiliser afin d’améliorer la vie des ouvriers et des hommes en
général. En ce sens, le gain d’argent est moins une question morale que son
utilisation.
La source du revenu peut aussi être analysée par le prisme de la morale. C’est
l’idée qu’il serait plus immoral de gagner de l’argent à spéculer sur les
dettes souveraines dans une salle de marché toute la journée qu’à soigner des
gens. Y a-t-il des métiers immoraux ? Nos sociétés ont tendance à
superposer illégalité et moralité (exemple des trafiquants de drogue), et à
légitimer moralement toute activité légale car elle trouve sa place et son
utilité sociale, bien que celle-ci soit difficile à identifier et quantifier.
Néanmoins, certaines activités, bien que légales, peuvent poser un dilemme
moral : fabricants de tabac, lobbying, ou même Private Equity (soyons pédants !) etc. ; gagner beaucoup d’argent
dans le cadre de ses activités pourrait donc être moralement condamnable.
Si je conçois donc que l’immoralité puisse découler de l’utilisation faite
de l’argent ou de la manière dont il a été gagné, je ne crois pas qu’elle puisse
strictement découler du simple fait qui consiste à accepter un très haut revenu.
Ceci n’est qu’une illusion d’immoralité, provenant du fait que l’argent est
généralement perçu comme le droit d’accès à un niveau de vie matériel que la
société consumériste a érigé en bonheur. Les riches ne seraient donc pas
seulement des fortunés ayant accès à un niveau de vie supérieur, mais des
privilégiés ayant accès à ce bonheur consumériste au détriment des autres. Mais
en réalité, cette volonté de jouir de ce « bonheur » est moins une
forme d’immoralité des premiers qu’une forme de jalousie des seconds. « L’argent
ne fait pas le bonheur » disait l’autre, pourquoi donc dépenser de
l’énergie à montrer du doigt ceux qui en ont au lieu de chercher et cultiver
son propre bonheur ? Plus que les concernés, c’est peut-être le système
qui est à incriminer, car il amène à récompenser au-delà du raisonnable des
comportements et des actions sans morale.
Gagner beaucoup d’argent n’est donc pas fondamentalement immoral. C’est en
réalité une chance extraordinaire d’agir moralement. La cupidité et
l’individualisme dissuadent malheureusement souvent de saisir cette chance. L’impôt,
au final, est l’outil rêvé pour pouvoir ponctionner de manière moralement
justifiée un revenu qui n’est pas fondamentalement immoral, mais qui n’est pas
fondamentalement mérité non plus. Mais jusqu’où l’Etat peut-il ou doit-il
aller ?
1 commentaire:
Pas de commentaires?
"Sujet complexe, donc peu commenté?....."
Le Pipo
Enregistrer un commentaire